Cyclisme : Passo Gavia 1988, le Giro rencontre la fin du monde

© Simon Pascal and Fignon Laurent during stage 18 of Tour de France from L'Alpe d'Huez to La Plagne, on July 17th 1984. Photo : Sirotti / Icon Sport

Visualiser Occulter le sommaire

Terre d’un exploit monumental de Bernard Hinault, Liège-Bastogne-Liège 1980 figure parmi les courses les plus dures de l’histoire, dans le froid et la neige. Mais un autre épisode légendaire a marqué l’histoire du cyclisme et les corps des coureurs enfermés ce jour-là dans le terrible piège du Passo Gavia, où le sport cycliste est allé au bout du danger. Nous sommes le 5 juin 1988, entre Chiesa in Valmalenco et Bormio. Bienvenu en enfer…

Lorsque le peloton du Giro 1988 arrive le soir à Chiesa in Valmalenco, à la veille de la 14e étape qui doit arriver à Bormio via le Passo Gavia (2 650 mètres), les grimaces sont de rigueur. La pluie qui tombe n’augure rien de bon. Certaines équipes, comme la Reynolds de Pedro Delgado, sont alertées que la neige pourrait tomber le lendemain au sommet du col et s’organisent pour y dépêcher un membre du staff, Francis Lafargue pour la Reynolds, afin de donner vêtements secs et thé chaud aux coureurs.

Mais aucun n’imagine alors ce qu’il se produira là-haut…

Le soleil au pied du Gavia piège les coureurs

Le lendemain matin, la pluie est bien présente au départ. Quelques kilomètres avant le pied du Gavia, le soleil revient comme pour mieux piéger les coureurs, qui enlèvent pour la plupart imperméables et manchettes pour se retrouver bras nus à l’assaut du col, à l’image du Hollandais Johan Van de Velde, parti en échappée avec Roberto Pagnin et Stephen Joho. Mais rapidement, la pluie fait son retour. Puis très vite, la neige, encore la neige, toujours la neige. Des trombes de neige… Les voitures suiveuses ne parviennent plus à monter, seules quelques-unes passent. Le peloton se retrouve piégé sans assistance dans les derniers kilomètres du Gavia. Les coureurs parviennent pour la plupart à revêtir au moins un gilet ou un imperméable, d’autres se retrouvent en manche courte dans le blizzard, comme Johan Van de Velde

Une course pour la vie

Au sommet, c’est un enfer absolu. Sans personne pour le secourir, le peloton tente tout simplement de survire. Francis Lafargue appelle ceux qu’il parvient à reconnaître dans le déluge. Pedro Delgado le capte, mais il ne peut plus parler. Lafargue lui donne un vêtement chaud et du thé. Il repart vers l’enfer. Ensuite, Lafargue tentera d’aider comme il peut tous les désespérés passant devant lui, ne pouvant ni faire demi-tour ni s’arrêter, piégés dans le froid et la neige. « Nous étions comme un bateau pris en pleine tempête », commentera pour velo-club.net le journaliste Philippe Bouvet, présent dans l’une des rares voitures ayant passé le col sans savoir si elle parviendrait à descendre alors qu’on ne voyait même plus les coureurs. Toujours au sommet, Lafargue accompagne Dominique Gaigne de l’équipe Toshiba vers un refuge, lui donne des couvertures et repart aider comme il peut. Lui-même ne sait plus comment descendre du col tellement le chaos règne. Il finit par entrapercevoir une voiture Toshiba, monte à l’intérieur, prévient que Gaigne est caché dans un refuge là-haut et qu’il faut aller le chercher.

« Je me souviens avoir vu son vélo au sommet, mais pas Van de Velde »

Mais le plus dur reste à venir. La descente de 22km… De course, il n’y a plus vraiment, si ce n’est pour ne pas mourir. Plus personne ne comprend ce qu’il se passe. Marc Madiot raconte aujourd’hui sur velo-club.net : « On a commencé à descendre dans le brouillard. Avec Jean-François Bernard, on s’est perdu. Je ne savais plus s’il était devant ou derrière. Au bout d’un moment, je me suis mis à trembler sur le vélo, je me suis arrêté pensant que j’avais cassé mon vélo, mais ce n’était pas le vélo qui était cassé mais le bonhomme. A un moment, José Miguel Echevarri (directeur sportif de l’équipe Reynolds) m’a tendu un bidon, mais j’étais incapable de le prendre ». Dans la descente, Delgado aperçoit un concurrent sans son vélo en train de courir remontant en sens inverse de la course. D’autres se « pissent » sur les doigts pour trouver du chaud. Certains pleurent sur le bord de la route, d’autres s’invitent dans le peu de voitures qu’il y a pour descendre quelques kilomètres avant de reprendre la route. L’arrivée montre des scènes apocalyptiques de coureurs portés, en train de convulser. Marc Madiot avoue aujourd’hui : « Mon corps ne s’en est jamais vraiment remis. Ce qui a foutu dedans, c’est de ne pas avoir pris de vêtements chauds et de ne pas s’être changé au sommet, alors qu’on était trempé au milieu de la glace et de la neige, à 2600 mètres d’altitude ».

Pour l’histoire, Erik Breukink remporta l’étape ce jour-là, et Andy Hampsten alla chercher le maillot rose, qu’il conserva jusqu’au bout. Mais l’essentiel, bien sûr, était ailleurs. Les cyclistes sont des héros, et ce jour-là, ils ont vaincu l’enfer. Et Johan Van de Velde ? Passé en tête au sommet du Gavia, il terminera dernier de l’étape, à quasiment 50 minutes de Breukink à l’arrivée, 22 kilomètres plus bas… « Je me souviens avoir vu son vélo au sommet, conclut Jean-François Bernard. Mais pas Van de Velde ».

Vous êtes ici : Memo Sport Cyclisme Cyclisme : Passo Gavia 1988, le Giro rencontre la fin du monde